À la Faveur du Printemps • John

Enfin !

Il était temps que le froid s'en aille pour laisser place au soleil, certes peu vigoureux, mais beaucoup plus agréable que ces gros nuages que Portland avait subi pendant des semaines ! Et c'était le meilleur jour (pour ne pas dire l'unique) pour aller se balader seule, sans avoir besoin de jouer les femmes parfaites.

Prenant un carnet de croquis qu'elle avait acheté par caprice dans l'idée de gribouiller ce qu'elle voulait dessus, elle l'embarqua avec tout le nécessaire afin de crayonner dessus et se dirigea vers un endroit un peu reculé du parc pour ne pas être dérangée par qui que ce soit. C'était un de ces moments où elle avait besoin de solitude pour ne pas avoir à jouer un rôle qui lui pesait parfois, bien qu'il soit aussi sa nature propre. Regardant le ciel dépourvu de la moindre trace grise, ce fut en souriant que Ludivine installa une nappe au sol et se posa dessus avec ses affaires et un petit panier préparé par Madame Robbins, contenant quelques victuailles pour le goûter.

Aujourd'hui, c'était session imagination, et le premier ou la première à la gêner en serait pour ses frais ! Ayant cette envie d'évasion depuis quelques jours, la jeune femme était enfin satisfaite de pouvoir profiter d'une belle journée de printemps ainsi. Observant les alentours, elle se mit à tailler son crayon afin de ne pas avoir la mine plate ou arrondie. Posant le carnet sur ses genoux remontés, elle finit par apercevoir un homme à quelques mètres d'elle, en train de jouer de la guitare.

Elle en fit son modèle, reproduisit son profil d'un œil expert mais au tracé encore maladroit.
Se concentrant au maximum pour effacer le léger trouble habituel quand elle voyait un beau garçon. Il fallait dire que celui-là avait un beau sourire, même de loin, surtout qu'elle ne mit pas longtemps à reconnaître son voisin qui poussait régulièrement la chansonnette pas loin de chez elle. John Draper si ses souvenirs ne se faisaient pas la malle.

Au bout de dix minutes à gribouiller sur sa feuille, la blonde finit par déposer son carnet sur la nappe et à sortir une petite bouteille de jus de fruits pour en boire une gorgée, avant de se lever pour rejoindre le jeune homme, abandonnant ainsi sa première motivation en souriant de manière amicale.

- Bonjour John, quelle belle journée, n'est-ce pas ?

Ils s'étaient déjà rencontrés étant donné qu'ils habitaient le même quartier et se croisaient relativement souvent. Seulement, ils n'avaient pas eu l'occasion de beaucoup discuter, chose qui pouvait aisément se rattraper. Pour sa sortie, Ludivine avait revêtu une tenue simple : un pantalon en lin beige, surmonté d'une tunique brune dont les manches étaient remontées jusqu'aux coudes, avec une paire de ballerines marrons. Ses longs cheveux blonds étaient attachés en une lourde tresse qui reposait sur son épaule droite, alors que ses bijoux fantaisies peu nombreux (un bracelet, une bague et de petites boucles d'oreilles) ajoutaient une touche de coquetterie.

- J'aime vous entendre chanter, vous avez une belle voix.

Et aussi étonnant que cela puisse paraître, Ludivine pensait ce qu'elle venait de dire. En temps normal, elle se contentait d'enrober son hypocrisie maladive par des mots bien flatteurs, mais aujourd'hui ce n'était pas le cas, ce qui lui parut extrêmement bizarre... Enfin, elle se contenta de lui sourire à nouveau, tout en croisant ses bras derrière son dos.

Les fans de John allaient enfin pouvoir respirer un peu. Les beaux jours revenaient, ce qui voulait dire, qu'en plus de pouvoir se trélasser à la plage et de pouvoir également écouter le dernier tube estival de leur chanteur préféré, ils allaient également l'apercevoir plus souvent. C'était de notoriété publique. Draper détestait la pluie, le froid, en bref l'hiver. Il n'arrivait pas à s'y accommoder. Et dernièrement, les changements de temps l'influençaient énormément dans sa manière de se comporter. Il était plus taciturne, plus dépressif quand le soleil se voilait. A contrario dès qu'une éclaircie illuminait son être, son sourire et sa bonne humeur revenaient. Il n'était jamais évident de le suivre. Un coup il était heureux, l'autre il se mettait en colère. Son côté lunatique lui avait valu de nombreuses bagarres et de belles disputes. Il ne pouvait aller contre sa nature, il composait avec et les autres devaient en faire de même. En tout cas, John affichait une mine rayonnante. Il avait un côté un peu hyperactif. Ce fut sans doute pour cette raison que dès le lever du jour, il s'occupa de l'appartement, ce qui ne prit pas très longtemps, car il était très propre. En une heure à peine, il eut fini son ménage et en profita pour prendre sa douche et s'habiller. Dans son style, le jeune homme avait du charme, beaucoup de charme selon les dames et certains hommes. C'était un charme authentique, qu'il avait hérité à sa naissance et qu'il ne mettait pas en avant, trop inutile, la nature le faisait déjà pour lui. Son minois, son corps, tout était taillé comme s'il avait été un mannequin. Certes, John était beau mais il ne s'en vantait pas. L'orgueil restait un de ses défauts pourtant il n'en devenait pas vaniteux et arrogant. En plus, il pensait depuis de longues années que les types beaux et "parfaits" cachaient simplement leur stupidité. Il ne voulait pas être catalogué.

Il laissa sa barbe de quelques jours après une intense réflexion et s'habilla. Il sélectionnant une chemise à manche longue, de couleur bleu ciel et enfila un pantalon en toile, ajusté, de couleur gris foncé. Il mit également ses chaussures, des tennis mêlant les deux couleurs précédentes. Il se coiffa rapidement à la main, pour mettre ses cheveux en bataille et se parfuma. Toujours être agréable à regarder et à sentir, tel était son credo quotidien. Ainsi vêtu, il était indéniable qu'il avait la classe, même avec une barbe de trois jours. Avec motivation, il se mit à chanter à cappella et à tue-tête dans sa cuisine, tout en préparant le petit-déjeuner. Ne jamais rester l'estomac vide. Il avait en effet découvert que le fait de ne pas manger le matin perturbait sa musique. Pour autant pas question de se goinfrer. Avoir l'estomac comme une baudruche l'empêchait de chanter convenablement et de se concentrer. Emporté par sa passion, la musique, il se servit des ustensiles pour reproduire la batterie et se déchaîner davantage. Tout ce manège était en réalité un rituel. Au réveil, tous les êtres humains avaient encore la voix pâteuse, engourdie, rauque. En se déchaînant, il échauffait la sienne et la préparait au travail pour le restant de la journée. Évidemment, parfois, il lui arrivait d'avoir une extinction. Il s'arrêta net, occupé soudain à cette réflexion. Il n'avait pas été malade depuis un sacré temps... Bon, c'était très positif, ça voulait dire que son alimentation, son mode de vie demeuraient adaptés et efficaces pour son système immunitaire. Il n'allait clairement pas s'en plaindre, il était particulièrement désagréable quand il chopait la crève, avec tout le monde, en particulier ses proches. Il jalousait leur pêche. Il haussa les épaules et reprit son délire musical. Après avoir mangé, il prit sa guitare sur son dos et se rendit au parc.

Il aimait beaucoup cet endroit. En plus d'être beau à regarder, il était paisible. Tout le reposait, le calmait, la fraîcheur des fontaines, le doux parfum des arbres renaissants, l'odeur du gazon tondu, le bruit des oiseaux... autant de choses simples qu'il appréciait. Et puis, surtout, la magie du lieu l'inspirait. Ainsi, il avait pris l'habitude de venir jouer de la guitare ici, soit pour répéter, soit pour créer de nouveaux airs. Il s'assit sur la housse de sa guitare et commença à jouer. On ne pouvait le nier, il avait un véritable don avec ses doigts. Ils se déplaçaient sur les cordes avec une facilité et une maîtrise hors du commun. Les journalistes étaient unanimes sur le sujet. Il connaissait son métier, il avait un grand avenir, à construire. Sa façon de composer avait un côté bluffant, comme si une fois lancé, rien ne pouvait plus stopper son imagination. Et il touchait à tout. Certaines de ses chansons gardaient une touche rock/pop, d'autres étaient plus funky et quelques unes oscillaient entre jazz et soul. De temps à autre, il faisait aussi du country. Il avait la tessiture vocale nécessaire pour jongler entre tous ces styles. Sa voix parlée était grave, douce. Quand il chantait, il avait du coffre. Et il savait monter dans les aigus, sans se briser la gorge. Il aimait bien le résumé d'une de ses fans, à la sortie de l'un de ses concerts : "Johnny c'est une voix. Et sa voix, c'est comme un bonbon au miel, doux, agréable, presque irréel". Bien sûr, son égo était flatté, il n'allait pas dire le contraire. Et il laissait le soin aux "experts" de définir s'il était baryton ou contralto... Après quelques minutes passées à échauffer ses doigts, il se laissa porter par le rythme, ferma les yeux et se mit à chanter, sans penser au monde extérieur. On aurait dit qu'il était en transe, même si pour le coup, il n'était pas question de vision quelconque. Il rouvrit les yeux lorsqu'il entendit une voix féminine à côté de lui.

- Hey ! Ça alors ! Ludivine ! Oui, magnifique journée ! Le soleil, la chaleur... Et elle est encore plus belle depuis que je vous ai vu ! Vous êtes radieuse.

Ils étaient voisins, du moins ils habitaient le même quartier. A maintes reprises, ils se croisèrent, pour discuter brièvement dans l'épicerie du coin ou en attendant le bus. John avait beau connaître le succès et réussir sa carrière, il voulait rester simple, garder certains gestes, une manière de vivre qui lui était propre et qui collait à son côté sociable. Et puis il aimait se débrouiller par lui-même. A quoi cela pouvait-il servir de se faire conduire à part à l'abrutir complètement ? Il gardait son indépendance, ça ne le dérangeait absolument pas, bien au contraire. Pour répondre à son compliment, John lui dit avec un grand sourire :

- Merci, c'est gentil. Mais vous savez, je n'ai rien fait de particulier pour en arriver là, à part chanter... Je suis un habitué des lieux, il est reposant, prolifique. D'ailleurs, je me suis peut-être emporté. Qu'est-ce que vous voulez, les beaux jours me rendent heureux ! Je revis enfin ! J'ai lancé une pétition, il y a quelques semaines pour que le Maire interdise le mauvais temps dans la ville. Visiblement ça a payé !

Il se mit à rire, ce qui rendit son visage étincelant. Ses doigts firent rapidement quelques accords de guitare, de façon presque impulsive. Il reprit :

- Je ne suis visiblement pas le seul à aimer ça ! Je vois que vous prenez plaisir à vous reposer ici, pas vrai ?